32. Retour de Ménélas et d’Hélène
Ayant retrouvé Hélène lors de la prise de Troie, Ménélas lui avait généreusement pardonné son infidélité et avait décidé de reprendre la vie commune avec elle. Pour sceller leur réconciliation, il lui proposa de ne pas rentrer directement dans leur royaume de Sparte, mais de faire d’abord une petite croisière d’amoureux dans les îles de la mer Égée. Il se sépara donc de sa flotte qui prit la route directe puis, ne gardant qu’un navire et quelques marins, il partit de son côté par le chemin des écoliers.
Malheureusement, il n’avait aucun sens de l’orientation et, après quelques mois de navigation nonchalante au gré des vents, il était complètement perdu : il ne savait même plus si, par rapport à lui, la Grèce se trouvait au nord, à l’est ou à l’ouest. Apercevant une île, il décida d’y aborder pour renouveler ses provisions et, si possible, pour se renseigner auprès des habitants sur sa position. Tout d’abord, l’île lui parut déserte. Mais, s’étant avancé de quelques centaines de mètres, il eut la surprise de rencontrer une ravissante jeune fille qui se baignait dans l’eau fraîche d’une source. Lorsqu’elle se fut précipitamment couverte d’une tunique légère, ils firent connaissance.
— Je m’appelle Idothée, lui dit-elle, et je vis seule sur cette île avec mon père Protée. Mais celui-ci est d’un caractère si sauvage qu’il se cache lorsque des voyageurs débarquent dans l’île et qu’il refuse obstinément de les rencontrer.
Ménélas, de son côté, dit à Idothée qui il était et lui raconta brièvement ses aventures. Charmée par sa conversation, Idothée lui proposa de rester quelques jours sur l’île :
— L’île est très giboyeuse, lui dit-elle ; on y trouve en abondance des cerfs, des chevreuils, des lièvres et des perdreaux.
Or, vous vous en souvenez peut-être, Ménélas était passionné de chasse ; il accepta donc avec plaisir l’invitation.
Accompagné d’Idothée, il retourna à la plage, où il présenta sa nouvelle amie à Hélène.
Pendant les jours qui suivirent, Ménélas passa le plus clair de son temps à chasser dans les bois, en compagnie d’Idothée.
À chasser, mais aussi, la vérité m’oblige à le dire, à flirter un peu. Car, outre qu’Idothée était charmante, Ménélas n’était pas fâché de prendre une petite revanche sur Hélène. Celle-ci, jalouse, avait bien tenté de reprocher à son mari ses sorties prolongées et ses retours tardifs, mais Ménélas l’avait vertement remise à sa place :
— Comment oses-tu me reprocher d’arriver avec dix minutes de retard pour le déjeuner, alors que tu m’as fait attendre dix ans ?
Pendant ses longues promenades avec Idothée, Ménélas avait demandé plusieurs fois à la jeune fille de le renseigner sur la position de l’île par rapport à la Grèce, mais elle l’avait assuré qu’elle l’ignorait complètement.
— Seul mon père pourrait te renseigner, lui dit-elle, mais il ne voudra jamais.
Cependant, devant les demandes pressantes de Ménélas, elle finit par accepter de l’aider.
— Mon père Protée, lui dit-elle, est en réalité une divinité marine. Certes, ce n’est pas un dieu de première importance, mais il a le pouvoir de changer d’apparence à volonté, et il se sert de cette faculté pour se débarrasser des importuns en les effrayant. Si tu veux le voir et l’interroger, tu pourras le trouver tous les matins à l’aube, dans une petite crique où il va chaque jour compter son troupeau de phoques. Mais cache-toi bien, car, s’il te voit, il ne se montrera pas. Et, lorsque tu seras en face de lui, ne te laisse pas impressionner par ses métamorphoses.
Le lendemain, avant l’aube, Ménélas, accompagné de trois de ses marins, se rend à la crique. Ils y trouvent, étendus sur le sable, une cinquantaine de phoques. Ils en tuent quatre, les dépouillent de leur peau, s’en revêtent et se couchent au milieu du troupeau. Ménélas n’aurait pu supporter l’acre odeur des phoques si Idothée, par précaution, ne lui avait remis un petit flacon d’ambroisie ; il en respire le contenu de temps à autre, et découvre avec surprise que cet aliment divin, outre ses qualités diététiques, possède aussi des propriétés désodorisantes.
Bientôt, Protée arrive sans méfiance ; il se promène parmi ses phoques qu’il flatte et qu’il caresse. Lorsqu’il passe près d’eux, les quatre hommes se dressent et s’emparent du vieillard.
— Je ne te relâcherai, lui dit Ménélas, que si tu m’indiques le chemin de Sparte.
Protée refuse et, pour effrayer ses agresseurs, se transforme successivement en ours, en sanglier et en lion. Mais les quatre hommes le tiennent solidement et ne se laissent pas impressionner. Protée se transforme alors en eau, croyant pouvoir ainsi leur filer entre les doigts. Ménélas éponge aussitôt la flaque à l’aide de sa tunique, qu’il jette ensuite dans un trou de rocher et qu’il recouvre d’une grosse pierre.
— Te voici désormais prisonnier, dit-il à Protée ; parle !
Vaincu, Protée s’exécute et fournit à Ménélas les indications nécessaires à son retour.
Le même jour, Ménélas prenait congé d’Idothée, non sans quelque regret, et s’embarquait pour Sparte où il arrivait quelques mois plus tard, sans autres incidents. Il devait y vivre paisiblement pendant de longues années, en compagnie d’Hélène qui fut désormais pour lui la plus tendre, la plus fidèle et la plus enjouée des épouses.